Kira ~ « Si l'on n'est pas sensible, on n'est jamais sublime. » (Voltaire)

Objets divers : Un médaillon en or qu’elle garde autour du cou, souvenir de sa grand-mère. Un chat noir en peluche avec lequel elle dort encore. Un bracelet en perles que son premier amour lui a offert et qu’elle conserve encore. Un ordinateur portable. Plusieurs sacs à main de styles différents. Un carnet violet qu’elle garde toujours sur elle et sur lequel elle note beaucoup de choses : coordonnées, mémos, anecdotes, idées diverses. Le stylo qui va avec, violet également. Un stick d’anti-cernes qui la suit partout, pour ne pas avoir l’air trop fatigué. Des livres divers, en particuliers des romans policiers.

Arme(s) : Une bombe au poivre que sa mère a tenu à lui acheter. Selon elle, c’est nécessaire par les temps qui courent.

Véhicule(s) : Une Mini Austin rouge et blanche offerte par son père.

Dans sa jolie robe bleue, Kira s’apprêtait à souffler les bougies de son gâteau devant toute la classe. Star de la journée, elle était heureuse. Tout le monde la regardait et lui chantait « Joyeux anniversaire ». Même le garçon dont elle était amoureuse. Bien sûr, lui ne le savait pas et elle se gardait bien de le lui dire, elle était trop timide pour ça, et persuadée que ce n’était pas réciproque. Seules ses meilleures amies étaient au courant et la chambrait souvent à son propos. Mais Kira préférait se consacrer à l’école. Elle aimait apprendre, et était d’ailleurs la première de sa classe. C’était sa mère qui lui avait donné le goût de la découverte. Très curieuse sur tout, elle n’avait pas besoin d’apprendre ses leçons par cœur, tout rentrait automatiquement, tant ça l’intéressait. Elle avait appris à lire très tôt, encore grâce à sa mère. Son père en revanche était plus distant. Souvent en déplacement, c’était lui qui ramenait l’argent à la maison. Il aimait sa femme et sa fille, mais avait toujours montré son affection de façon matérielle et non par des attentions toutes simples comme un câlin ou un bisou. Les deux jeunes femmes en souffraient mais avaient appris à vivre avec.

En soufflant ses bougies, Kira fit un vœu. Celui d’être heureuse jusqu’à la fin de ses jours. Elle ouvrit les yeux et vit que toutes les bougies avaient été éteintes. Avec un grand sourire de satisfaction, elle entendit les applaudissements de la classe. Puis, l’institutrice coupa l’immense gâteau pour que chaque enfant en eût une part. Elle servit également des verres de soda. Il y avait aussi des bonbons en tout genre. Les élèves se goinfraient, heureux de profiter de ce goûter au lieu de faire une heure de cours, et Kira était fière de leur offrir ça, même si elle n’était pas la première à le faire. Dans cette école, on fêtait toujours les anniversaires des enfants, et bien malchanceux étaient ceux dont le jour fatidique tombait durant le week-end ou les vacances. Pire encore lorsque ça tombait un jour férié. Fort heureusement, ce n’était pas le cas de la blondinette, qui mordait à pleines dents dans sa part de gâteau au chocolat.

Cependant, rares étaient les moments comme ça. En effet, peu sûre d’elle, elle n’était pas très populaire n’avait pas beaucoup d’amis. Venant du sud des Etats-Unis, elle n’avait toujours pas été acceptée à Chicago, et elle en souffrait. Pourtant, elle s’efforçait d’être gentille avec tout le monde, trop peut-être. Elle était devenue la bonne poire, celle à qui on demandait de l’aide pour les cours ou pour faire les entremetteuses, mais pas plus. Et aujourd’hui, encore une fois, elle excellait dans ce rôle. Ses rares amies étaient celles qui la comprenaient. Une petite fille pas très riche que ses parents habillaient avec les habits de son grand frère devenus trop petits pour lui, et une autre un peu boulotte, qui essuyait sans cesse les moqueries de ses camarades à propos de son poids. Kira ne se moquait pas, elle. Elle avait toujours été très tolérante. Elle aurait même été capable d’être adorable avec la fille la plus méchante de sa classe, pourvu qu’elle devînt son amie. Mais ce genre de chose ne pouvait pas arriver. Alors, tant pis, elle profita de ce petit moment de bonheur en espérant des jours meilleurs. Après tout, les bougies avaient toutes été éteintes, son vœu devait se réaliser, n’est-ce pas ?

En rentrant chez elle, ce soir-là, aucun gâteau ni quoi que ce soit de ce genre ne l’attendait. Sa mère lui avait souhaité son anniversaire le matin-même, son père était quant à lui en déplacement mais devait rentrer incessamment. Comme d’habitude, Kira monta dans sa chambre pour faire docilement ses devoirs. Elle savait que si ce n’était pas fait quand son père rentrerait, elle se ferait réprimander. Même quand elle avait fini, elle préférait rester dans sa chambre et lire plutôt que de descendre regarder la télé, de peur de se faire traiter de fainéante. Elle voulait que son père fût fier d’elle. Finalement, l’homme entra vers 20h, alors que sa femme venait de préparer le repas. Kira se précipita dans la salle à manger pour saluer son père et se mettre à table face à lui. Ce dernier lui tendit une enveloppe.

- Voilà pour ton anniversaire.

Elle décacheta l’enveloppe et y trouva 50$. Elle écarquilla les yeux. C’était beaucoup trop pour elle, elle ne saurait même pas quoi en faire…

- Merci papa !
- Tu les as aussi mérités pour tes bonnes notes. Toi aussi moins tu travailles, ce qui n’est pas le cas de tout le monde…

Il se tourna vers sa femme avec un regard lourd de reproche. Kira baissa les yeux. Qu’allait-il encore lui reprocher ? Ils se disputaient à chaque fois que son père rentrait, et la fillette avait du mal à supporter cette situation.

- T’as même pas fait le ménage… Pendant que je travaille, tu pourrais quand même faire un effort… Quand ta fille est à l’école, qu’est-ce que tu fais à la maison ? Tu dors ?
- Bien sûr que si, j’ai fait le ménage ! Et je te signale que c’est moi qui m’occupe de l’éducation de Kira, c’est grâce à moi qu’elle a des bonnes notes, mais t’es jamais là pour le voir.
- Excuse-moi d’être le seul à ramener de l’argent ! Si Kira peut s’habiller et manger à sa faim, c’est grâce à moi, certainement pas à toi !

Et ça n’en finissait pas. Même le jour de son anniversaire. Désespérée, les larmes aux yeux, Kira se leva avec l’intention de monter dans sa chambre, mais sa mère la stoppa dans son élan.

- Allons ma chérie, excuse-nous. Qu’est-ce que tu dirais si on invitait tes deux copines samedi pour fêter ton anniversaire ?
- Non, c’est pas la peine maman.

Tous les ans, ses parents lui proposaient tous les ans de fêter son anniversaire à la maison en invitant ses amies, mais elle refusait à chaque fois. A quoi bon faire un anniversaire à trois ? De toute façon, elle le fêtait déjà en classe. Et surtout, elle n’avait pas envie que ses amies eussent à subir une dispute entre ses parents. Car ce genre de chose arrivait fréquemment. Presque à chaque retour de son père, en fait. Il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas pour l’homme. Le ménage n’était pas fait, elle n’avait pas préparé ce qu’il aimait à dîner, etc. S’en suivait des remarques permanentes sur le fait qu’il se tuait au travail pendant qu’elle flânait à la maison. Bien sûr, Kira savait que sa mère n’était pas en tort. Mais elle comprenait également son père qui travaillait dur. Elle ne prenait donc pas parti, et en avait assez de querelles incessantes. Elle préférait encore être à l’école, même si elle subissait parfois les brimades de ses camarades.




Une soirée de folie. Les goûters d’anniversaire à l’école étaient à présent loin derrière Kira, et c’était sur la piste de danse qu’elle s’éclatait pour ses seize ans. En effet, ses amis avaient organisé cette fête pour elle, dans la résidence secondaire appartenant aux parents de l’un d’eux. Son plus gros cadeau, puisque son père lui avait finalement refusé la voiture qu’il lui avait promise. Raison invoquée : ses résultats scolaires avaient considérablement baissé. En effet, depuis qu’elle était entrée au lycée, elle ne s’intéressait plus autant au travail scolaire. La cause était simple, en changeant d’école, elle avait rencontré de nouvelles personnes qui ne connaissaient pas la Kira de l’école élémentaire. Plus de préjugés sur elle, et la jeune fille avait repris confiance en elle. Elle prenait soin de son apparence et, surtout, elle ne se laissait plus marcher sur les pieds, pouvant se permettre d’imposer son opinion. Tout allait mieux dans sa vie sociale, mais ses notes en pâtissaient. Dorénavant, ce n’était plus sur sa femme que son père se défoulait en rentrant, mais sur elle. D’après lui, elle n’avait plus rien de la fille modèle qu’elle était. Elle s’habillait comme une traînée, était devenue « encore plus fainéante » que sa mère et elle ne réussirait jamais dans la vie ainsi. Mais plus il lui disait ça, et plus elle avait envie de se rebeller. Malgré cela, elle n’avait jamais sombré dans la délinquance. Elle avait peut-être fumé quelques joints et finissait parfois saoule à la fin des soirées, mais rien de grave. En outre, elle était toujours vierge. Elle attendait le bon, et pensait l’avoir trouvé. C’était d’ailleurs ce soir qu’elle avait décidé de perdre sa virginité. Ses parents l’avaient tout de même autorisée à sortir – après tout, c’était son anniversaire – mais ils pensaient qu’elle était simplement chez une amie. Si son père avait su qu’il s’agissait d’une telle fête, il aurait certainement refusé.

Voilà comment elle s’était retrouvée là, sur la piste de danse, portant une mini-jupe noire et un haut rouge plutôt décolleté. Elle n’était pas sortie comme ça de chez elle, bien sûr. Elle s’était changée et maquillée en arrivant. A cette heure de la soirée, elle était déjà particulièrement guillerette, et c’était voulu. Elle voulait se désinhiber pour avoir moins peur de faire l’amour pour la première fois, avec celui qu’elle aimait. Il fréquentait le même lycée qu’elle, mais deux années au-dessus. Il avait donc dix-huit ans. Cela faisait six mois qu’ils sortaient ensemble, un record à cet âge. Quand ils s’étaient rencontrés, par le biais d’amis, aucun d’entre eux n’était célibataire. Kira enchaînait les amourettes à courte durée. Trois jours, une semaine, deux semaines maximum. Puis, le coup de foudre. Tant pis pour son copain de l’époque, elle s’en moquait pas mal. C’était lui qu’elle voulait. Sauf qu’il n’avait pas l’air décidé à quitter sa petite amie. Alors, elle avait lutté, multipliant les tentatives de séduction, ses amis organisant des tête-à-tête à l’insu du jeune homme. Elle avait persévéré, et elle avait fini par l’avoir. Elle ne s’était pas battue pour rien puisque ça avait duré, pour la première fois de sa vie. Elle en était folle amoureuse. Pour ses seize ans, il lui avait offert un joli bracelet en perles qu’elle s’était empressée de mettre. Une belle preuve d’amour.

La fin de la soirée arrivait à grands pas et beaucoup partaient déjà se coucher. Mais pour Kira, elle ne faisait que commencer. Le moment crucial approchait. Ils en avaient parlé, il était d’accord. Et comment ! Il espérait ça depuis longtemps, mais avait eu la patience d’attendre qu’elle fût prête. Main dans la main, ils s’esquivèrent discrètement dans l’une des chambres. Même si la nouvelle n’avait pas été officielle, leurs amis devineraient facilement ce qui se passerait. Quand la porte fut fermée derrière eux, ils s’embrassèrent tendrement.

- C’est ma meilleure soirée d’anniversaire…
- Content qu’elle te plaise.

Elle sourit, et il déposa un nouveau baiser sur ses lèvres. Puis, il l’invita à s’allonger avec lui sur le lit et ils s’étreignirent. Après quelques caresses encore assez chastes, il entreprit de la déshabiller doucement. Elle se laissa faire, un peu gênée tout de même car quelque peu pudique. Il l’embrassa tendrement dans le cou, puis sur les seins qu’il effleura avec délicatesse. Il n’était pas très expérimenté, mais il ne voulait pas la brusquer. Il s’attarda un peu sur son ventre avant de passer ses mains sous sa jupe. Elle aima toutes ces sensations et l’invita à continuer avec un langoureux baiser, passant elle-même ses mains sous sa chemise. Les choses s’accélérèrent un peu ensuite. Les gestes du jeune homme se firent plus impatients, mais elle ne s’en formalisa pas, gémissant sous ses caresses de plus en plus intimes. Il s’était lui-même déshabillé, mais elle n’osait pas regarder en dessous de son ventre. Evidemment, il avait prévu un préservatif. Ce n’était certainement pas le moment de tomber enceinte. Ils avaient fait les choses bien. Pendant qu’il l’enfilait, elle se risqua tout de même à jeter un œil et se mordit la lèvre. Elle trouvait ça… énorme. Bien sûr, elle n’avait pas vraiment d’élément de comparaison, mais elle avait l’impression que c’était bien trop gros pour elle… Elle allait avoir mal. Mais elle savait déjà que perdre sa virginité n’était pas une partie de plaisir. Que ça faisait saigner, même. Elle s’y attendait. Alors, elle se laissa pénétrer avec appréhension. Effectivement, ça n’avait rien de merveilleux. Elle avait mal, et encore plus quand il entama son mouvement de va-et-vient. Mais elle tint bon. Puis, se fut fini. Elle n’était plus vierge. Une page était tournée. Son petit ami lui caressa les cheveux et l’embrassa sur le front. Puis, il s’endormirent dans les bras l’un de l’autre sans s’en rendre compte, alors que Kira était censé rentrer chez elle.

Peu de temps plus tard, la porte s’ouvrit dans la volée et Kira se réveilla en poussant un cri. Son père venait de faire irruption dans la chambre. S’inquiétant de ne pas la voir revenir, il avait appelé chez son amie et était tombé sur sa mère, qui l’avait informé de l’endroit où elles se trouvaient. Immédiatement, il s’y était rendu, furieux. Lorsqu’il découvrit sa fille nue dans les bras d’un garçon, il entra dans une colère noire. Il lui jeta ses habits à la figure tandis qu’elle cachait sa nudité sous les couvertures.

- Rhabille-toi immédiatement !

Le jeune homme quant à lui n’avait pas attendu la requête pour le faire. Mais avant qu’il n’ait eu le temps de reboutonner sa chemise, le père de Kira l’attrapa par le col et lui lança un regard assassin.

- Toi, espèce de petit con ! Je t’interdis de revoir ma fille ! Disparais de ma vue !

Le garçon ne se fit pas prier. Kira était en larmes. Ce qui devait être le plus bel anniversaire de sa vie s’était transformé en cauchemar. Elle rentra chez elle dans la voiture de son père, qui la priva de sortie pendant un mois. Mais elle n’en avait que faire. Elle n’avait plus de nouvelles de son petit ami. Au lycée, il l’évitait. La jeune fille passait ses nuits à pleurer, au grand dam de ses amis qui tentaient de lui remonter le moral en la voyant arriver avec des cernes et les yeux bouffis le lendemain. Petit à petit, toutefois, elle s’efforça d’oublier. Et, surtout, elle se remit à travailler. Ses résultats finirent par remonter et elle réussit avec brio ses examens de fin d’étude. Elle choisit alors de suivre un cursus scientifique à l’université, en se spécialisant dans la biologie, là où elle excellait. Elle n’oublia toutefois jamais son premier amour, et garda toujours le bracelet au poignet.

Cette fois, c’était dans un bar que Kira fêtait ce jour important. Entourée de ses camarades de classe et de dortoirs. Ils avaient organisé cette petite soirée pour elle et, jusqu’à présent, tout se passait bien. Depuis qu’elle avait quitté le domicile parental, la jeune fille se sentait beaucoup mieux. Comme elle réussissait ce qu’elle entreprenait, son père lui envoyait régulièrement de l’argent, et elle allait le voir une fois toutes les deux semaines. Deux semaines plus tard, c’était à sa mère qu’elle rendait visite. En effet, depuis deux ans, ses parents avaient divorcé. Finies les disputes. Malheureusement, elle n’avait pas eu le bonheur de connaître ça plutôt. Le bonheur oui. Kira est certainement l’une des rares personnes à avoir considéré le divorce de ses parents comme une délivrance. Ils avaient d’ailleurs tous deux rapidement refait leur vie, et tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Pour ses 21 ans, son père lui avait offert une superbe Mini rouge. Enfin, elle avait la voiture qu’il lui avait promise cinq ans plus tôt. Elle était même mieux que celle qui avait été prévue au départ.

Et puis, le même jour, elle avait reçu la visite de Jason à la fac. Jason, c’était l’un de ses plus précieux amis. Un scientifique qui travaillait également pour l’université. Ils s’étaient rencontrés par hasard. Ils avaient discuté, longuement, réalisant qu’ils avaient beaucoup de points communs et des opinions convergentes. Une tendre amitié était née entre eux, et elle s’était rendu compte qu’elle ne pouvait pas se passer de lui. Elle se sentait en sécurité quand elle était là, alors qu’elle n’était pourtant pas en danger. Elle le considérait comme un grand-frère, voire comme un père, elle qui n’avait jamais connu une réelle affection paternelle. C’était une chose importante qui lui avait toujours manqué. Alors, elle transférait cet amour filial sur Jason, et il le lui rendait bien. Cependant, elle sentait qu’il cachait un lourd secret, que son passé était obscur. Il lui avait dit avoir perdu ses parents dans un accident, mais n’avait jamais voulu apporter de précision là-dessus. Ce jour-là, il était venu pour lui offrir un cadeau. Un ordinateur portable. Elle avait protesté devant l’importance du présent. Comment pouvait-il lui offrir quelque chose d’aussi coûteux ? Certes, il ne manquait pas d’argent. Mais elle ne méritait pas tant d’attention. D’autant qu’elle venait déjà de s’être vue offrir une voiture… Ce qu’elle attendait de Jason, c’était autre chose. Une épaule sur laquelle se reposer. Malgré cela, il semblait tellement déçu par sa réaction qu’elle garda le cadeau. Après tout, elle en avait besoin et comptait justement s’en acheter un, pour ses cours.

Le soir qui suivit, elle se rendit avec ses amis à leur bar habituel. Tout avait été prévu pour l’occasion : décoration, boissons, gâteau… C’était comme le goûter d’anniversaire de ses dix ans, à l’exception qu’elle n’était entourée que de gens l’appréciant véritablement. Elle était la reine, mais pas seulement parce que les invités pouvaient profiter des friandises. Et tandis qu’elle riait en parlant des derniers ragots avec ses camarades, tout en buvant une Margarita, quelqu’un entra dans le bar. La porte étant dans son axe de vision, Kira jeta un œil pour voir le nouvel arrivé, et son cœur fit un bond dans poitrine. C’était lui. Il était sans doute entré par hasard et s’appuya sur le bar pour commander un verre. Immédiatement, Kira se leva, sous les yeux étonnés de ses amis. Elle ne voulait pas laisser passer cette occasion.

- Excusez-moi, je reviens.

Tous la suivirent des yeux, intrigués. Puis ils virent le jeune homme et comprirent. Ce n’étaient pas la première fois qu’ils étaient aperçus ensemble, mais personne ne savait vraiment ce qu’il se passait entre eux. Quand Lucas vit arriver la jeune fille vers lui, il fit immédiatement demi-tour et se dirigea vers la sortie. Mais elle le rattrapa et le saisit par le bras.

- Attends ! Je voulais juste te parler un instant. Est-ce qu’on peut sortir et discuter sans que tu te sauves à nouveau ?

Il soupira, puis acquiesça d’un signe de tête, sans prononcer mot. Ils sortirent du bar et s’arrêtèrent un peu plus loin. Kira observa le jeune homme pendant quelques secondes, et son cœur battait la chamade. Au départ, elle avait juste voulu le protéger. Elle avait remarqué que ce garçon n’était pas comme les autres. Il était solitaire mais, surtout, semblait souffrir atrocement. Elle ne supportait pas de voir quelqu’un ainsi et s’était mis en tête de le prendre sous son aile et de découvrir ce qu’il cachait. Au début, elle le considérait comme un petit frère, même s’il la fuyait autant qu’il pouvait. Pourtant, elle voyait bien qu’elle ne le répugnait pas. Il semblait agir ainsi comme s’il voulait lui épargner des efforts inutiles. Mais elle ne l’entendait pas de cette oreille. Elle comptait bien lui imposer sa présence. Et elle ne le lâcherait pas tant qu’elle ne saurait pas la vérité. Puis, petit à petit, leur relation avait pris une autre tournure. Du point de vue de la jeune fille, en tout cas. Elle s’était découvert de nouveaux sentiments pour lui. Il hantait ses pensées et elle rêvait de le serrer dans ses bras, de… l’embrasser. Tout ça ressemblait fortement à de l’amour, même si elle n’en était pas vraiment certaine.

Avant lui, elle n’était tombée que deux fois réellement amoureuse. Il y avait eu son premier amour, au lycée, puis il y avait eu William, à son entrée à l’université. Il était en médecine et l’avait guidée le jour de sa rentrée, la voyant perdue. Encore une fois, elle avait eu le coup de foudre mais, cette fois, elle n’avait pas eu pas à combattre. C’était réciproque. Ils étaient sortis ensemble pendant un an, filant le parfait amour, jusqu’au jour où il lui avoua éprouver des sentiments pour une autre. A nouveau, le monde de Kira s’écroula. Elle s’était mis en tête de faire subir des misères à la jeune fille en question mais était vite passée à autre chose, estimant sa réaction puérile. Après tout, on ne pouvait rien faire contre l’amour. Elle n’avait jamais oublié William. Mais son cœur battait pour un autre, à présent, et il était en face d’elle.

- Je t’en prie, dis-moi pourquoi tu me fuis ainsi. Je cherche juste à t’aider…
- Je n’ai pas besoin d’aide. Et tu ne m’intéresses pas, c’est tout.
- C’est faux, je le sais.

Elle lui prit la main et la porta à sa bouche, y déposant un doux baiser.

- Si tu ne ressens rien, alors dis-le-moi, une bonne fois pour toute.
- Je ne ressens rien, en effet.

Il retira vivement sa main. Mais il baissait les yeux, prouvant qu’il n’était pas sincère.

- Tu mens. Dis-moi vraiment pourquoi tu me fuis !
- Je ne peux pas te le dire !

Il s’énervait autant qu’elle, et elle préféra ne pas insister. Elle lui caressa doucement la joue. Il détourna les yeux mais ne la repoussa pas.

- Alors, j’attendrai autant qu’il le faudra. Mais je saurai un jour la vérité. Je peux sentir ta souffrance… Et je veux savoir d’où elle provient.
- Tu ne le sauras jamais.

Sur ces mots, il se dégagea et partit sans se retourner, la laissant plantée là, désespérée. En soupirant, elle retourna dans le bar, mais n’avait plus vraiment le cœur à s’amuser. Elle souffrait, elle aussi. Elle voulait résoudre ce mystère. Et puis, il lui plaisait énormément, et elle était malheureuse de ne pouvoir l’avoir. C’était la première fois qu’elle connaissait un amour qui n’était pas réciproque. Enfin, la première fois depuis l’école élémentaire, en fait. Mais tout était bien différent à cette époque-là. Un amour enfantin n’a rien à voir avec ce qu’elle éprouvait en ce moment. D’autant qu’un désir charnel s’était ajouté à ces sentiments. Elle le voulait, et elle l’aurait, coûte que coûte.